Il était une fois...
Ça aurait pu commencer comme ça. Vous savez, comme un conte pour gosse, une espèce de fable.
Le cercle polaire est loin derrière.
En regardant par dessus mon épaule j'aperçois le reflet de mes regrets, et la marque de tout ce que j'aurais pu être, dire, ou faire.
J'ai 19 ans depuis ce matin et en regardant vers l'avant, je me demande ce que pourrait être le futur. L'année prochaine, le mois prochain, demain. Vous savez, toutes ces choses qu'on se demande quand, la tête encore bourdonnante des rêves d'adolescent, on essaye de s'éveiller à "l'âge adulte" comme ils disent.
A travers la vitre, je vois le Yukon défiler. Terres gelées aux couleurs d'amour et de paix. Je suis mal assis. Après tout, je suis dans le bus depuis 78h maintenant, et je devrais être content de sentir encore mes pieds.
Maman a appelé. Je n'ai pas répondu.
L'homme sur le siège devant moi ronfle comme un bien heureux, et la femme à ma gauche, contre l'autre vitre, lit une 12eme fois le même livre de Michel Onfray : "initiation à la philosophie".
Je lis le paysage, je lis la liberté qui me frappe de plein fouet à travers le verre. Mes yeux s'abreuvent de beauté et je me sens noyé sous le bonheur de ces lands vierges, purs et immenses. Toute la philosophie du monde est là, sous mes yeux. Tout le bonheur est là, au bout de mes doigts qui caressent ce carreau comme pour en saisir les bribes.
Je pleure depuis un moment sans m'en rendre compte devant le divin qui s'étale devant moi.
Vous savez, je me suis toujours demandé ce qui pouvait provoquer la foi, je me suis toujours demandé "et moi, je suis qui".
Je suis parti pour ça. Se perdre, pour mieux se rencontrer.
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09/10/2008
J'ai quitté Whitehorse hier, après avoir pris de quoi manger, et un peu d'équipement en plus.
Je devrais appeler ma mère, mais je n'en ai pas le courage.
Mes doigts tremblent, le froid est dur ici. Pas comme à Paris. Et tout ce que je trouve à faire c'est de m'asseoir face au soleil rasant l'horizon pour écrire ces quelques mots.
Vous me trouverez sans doute pathétique.
Je pense à Yves qui entame sa deuxième année de licence. Je repense aux copains. Ici, je suis seul.
C'est ce que j'ai voulu, au fond. Mais quand vous êtes seul, et que l'immensité vous écrase sans crier gare, vous vous sentez tout de suite moins courageux.
Demain marion aura 2 ans et 6 mois.
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13/10/2008
Je marche depuis un moment sans pouvoir m'arrêter. D'ailleurs, j'écris en marchant, d'où les ratures. On rêve tous d'un "ailleurs" je crois. Vous savez, un peu façon terre des elfes dans Tolkien.
Genre là où on pourra dire "je sais qui je suis, et je suis chez moi". Un peu le lieu de repos, de paix donc.
Je ne comprends pas pourquoi si peu veulent affronter leur rêves.
J'ai soif. Mon eau est gelée.
La nuit est tombée maintenant, les premières étoiles pointent leur nez. C'est magnifique. Je souhaite à tous de pouvoir contempler l'univers comme je le fais ce soir.
Je pense que la vie est belle, trop belle pour ne pas s'agenouiller devant elle. Beaucoup trop la gâchent en ne vivant pas comme un gosse vit son amour de vacances dans sa première colonie.
Vous savez, comme si soudain tout était plus fort, plus beau...car tout, à un moment, s'arrête.
Je m'allonge sur le sol pour finir.
Je suis chez moi, et je sais qui je suis. Et ici, je brûle de joie.
Je m'allonge sur le sol face à l'Infini alors que les lumières, dans le ciel, commencent à danser. Je n'ai jamais rien vu de plus beau.
Le ciel s'embrase.
Ce soir, je vous quitte, le sourire aux lèvres et le cœur transporté.
Sous les larmes du Soleil.